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Cyclistes : à nous la rue !

Judith Lussier

Alors que des travaux de réfection ont lieu sur un tronçon de 1,5 km de la piste cyclable du canal Lachine, des panneaux de circulation invitent les usagers à faire un détour de 11 km. Ça, c’est ce qu’on appelle généralement un gros trajet en ville. C’est le trajet «le plus sécuritaire» proposé par Parcs Canada. Probablement que Parcs Canada utilise la même application que moi pour planifier ses déplacements à vélo. Une application qui a la fâcheuse manie de me diriger invariablement sur des pistes cyclables, comme si les rues n’existaient plus.

Les pistes cyclables, c’est bien. Si leur contribution à la sécurité réelle des cyclistes fait débat, elles ont au moins l’avantage de nous donner un sentiment de sécurité qui, lui, favorise certainement l’adoption des transports actifs. Mais sont-elles en train de nous exclure des rues ? Bien que Montréal soit maintenant dotée d’un réseau cyclable qui nous permet de nous déplacer d’un point A à un point B en parcourant presque exclusivement des pistes cyclables – ou leurs succédanés peints sur le sol –, rappelons qu’il est encore légal de rouler sur une bonne vieille rue ordinaire, à côté des voitures et autres véhicules. Ça s’appelle le partage de la route.

Le fait que l’on tienne compte des cyclistes dans la gestion des travaux est assurément une amélioration.

Je fais du vélo à Montréal depuis plus de 20 ans. J’ai pu observer les changements d’attitude depuis l’époque où la piste Rachel faisait figure de pionnière du réseau. Notamment, j’ai été surprise de remarquer les premières fois où on suggérait un détour ou un aménagement alternatif pour les cyclistes lors de travaux. Avant, on ne se serait pas bâdrés de ça. Les pistes cyclables étaient un bonus et, en cas de réfections, les cyclistes devaient se débrouiller par eux-mêmes. Le fait qu’on tienne compte des cyclistes dans la gestion des travaux est assurément une amélioration.

Les comportements sur les pistes cyclables ont également changé : les grands talents qui dépassaient tout le monde aux feux de circulation pour se rendre en avant de la file, se croyant investis de privilèges inexplicables pour le reste des mortels, sont une espèce en voie de disparition. Une chose n’a pas changé : ma peur d’être emportiérée, même si je roule sur une des fameuses bandes cyclables. En fait, c’est faux, j’ai maintenant un mot pour décrire cette réalité.

Un phénomène tout nouveau, par contre : me faire reprocher par un automobiliste ou un chauffeur d’autobus de ne pas rouler sur la piste cyclable qui m’est destinée et où on aimerait bien me confiner. Plusieurs raisons très légitimes peuvent conduire un cycliste à choisir la rue plutôt que la piste cyclable. Éviter une heure de pointe particulièrement achalandée, un troupeau de bros à BIXI en état d’ébriété à la suite d’un événement sportif, un nid de poule trop familier au milieu d’une descente de viaduc… Certaines pistes sont dans un état si lamentable que c’est bien souvent une question de sécurité.

Quoi qu’il en soit, bien que nous puissions nous réjouir de la bonification du réseau cyclable, nous ne devrions pas perdre notre capacité et notre confiance à circuler librement dans la rue ni déshabituer les autres usagers de la route de notre présence. À qui la rue ? À nous la rue !

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